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La mise en scène de l’absurde poussé dans ses retranchements est un pari piégeant. Maître obscur, créé au Théâtre de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) par l’artiste japonais Kuro Tanino, est victime de ce qu’il dénonce : une forme de vacuité, dans laquelle sombrent le spectacle et, avec lui, tout spectateur rétif à vivre l’expérience du vide.
Sur le papier, le projet était prometteur : observer cinq pensionnaires qui participent à un programme de réadaptation à la vie quotidienne sous la haute surveillance d’une intelligence artificielle, laquelle se manifeste par le truchement d’une voix anonyme (les spectateurs sont équipés de casques audio).
Reclus dans un appartement miteux et hors d’âge (canapé kitsch, cuisine en Formica, abat-jour poussiéreux et lit défraîchi), les cobayes arrivent au compte-gouttes. De la cuisson des cheeseburgers aux séjours bruyants aux toilettes, ils apprennent à cohabiter, chacun de leurs gestes étant filmés par des caméras (le panoptique est de circonstance). Ce dispositif pseudo-dystopique évoque moins Georges Orwell (1984) que Secret Story, émission de téléréalité créée en 2007 qui attisait le voyeurisme du téléspectateur.
Un sentiment pas vraiment noble dont on se dit qu’il aurait pu, a minima, être éprouvé par le public du théâtre. Mais le malaise, à Gennevilliers, vient d’ailleurs. D’un vide croissant de la pensée et d’une désertion de l’émotion, qui gagnent peu à peu les cerveaux et ôtent leur substance aux minutes qui s’écoulent, aux actions qui se mènent ou aux paroles qui s’échangent.
L’encéphalogramme défile. Il est plat. Sauf lorsque Gaëtan Vourc’h, fabuleux comédien, entre en scène et anime (enfin) l’inanimé. Sa présence fantaisiste, son corps dégingandé (sa danse est à mourir de rire), la subtilité de son phrasé : un peu de théâtre s’immisce dans cette plaine dévitalisée. Mais il est vrai que l’acteur a quelque chose à jouer, quand les femmes, pour leur part, ne font guère plus que de la figuration (ou alors la cuisine).
Il y a quelque chose de dérangeant dans l’effacement mutique de Stéphanie Béghain, autre très belle comédienne, que Kuro Tanino condamne à errer du canapé au fauteuil. Quelque chose de trop tardif dans l’apparition dense et incongrue de Jean-Luc Verna.
En reprenant le thème de The Dark Master (spectacle créé en 2018 au Théâtre de Gennevilliers, dont il est artiste associé), Kuro Tanino, ancien psychiatre, voulait approfondir une réflexion sur les processus de domination de l’humain. Si son but était de pointer la dépersonnalisation qui s’ensuit et le néant des sensibilités qui en découle, alors il a réussi. Jusqu’à y dissoudre le théâtre.
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